12 janvier, 2007

La question que je me pose...

Il faut remonter loin, très loin. Peut-être au jour où l’Homme, ignorant encore ce qu'on nomme acouphène, entendit, en décubitus latéral gauche, tout simplement battre son cœur oppressé. A moins que ce soit celui où, frappant entre eux deux cailloux pour en fabriquer quelque outil, en tirer une étincelle, il s’aperçut sans vraiment se le dire, que le bruit qui en résultait, par sa répétition rapprochée, sa réitération nécessaire, offrait un intérêt qu’il pouvait dissocier du caractère utile de son geste initial. Depuis fort longtemps certes, il entendait des bruits organisés - la nature en est pleine - le pas des mammifères, galop des chevaux sauvages, le chant des oiseaux, le hurlement des loups et ses modulations, le vent dans les falaises, le bruissement des feuilles et la pluie sur icelles... le crescendo de l’orage qui vient et le decrescendo qui suit lorsqu’il s’éloigne. Rythmes, hauteurs et variations du son, dynamiques, tout était déjà là qui put être musique. Une gigantesque symphonie stochastique ( mais sans but avéré, pourtant... ) et sans répit l’entoure, dont il n’a pas pleinement conscience car l’oreille est sélective ; mais elle nourrit en lui ce qui va devenir petit à petit l’un des composants essentiels de la nature humaine : le besoin irrépressible d’exprimer l’indicible... On peut penser qu’il ignorait, comme Monsieur Jourdain, que son action momentanée serait « artistique » puisqu’il n’avait probablement, comme on dit aujourd’hui, aucun « projet » de cet ordre si tant est qu’il en eût d’autres que celui de vivre ou de survivre... Pourquoi, l’Homme des Cavernes inventa-t-il la peinture pariétale, la fresque, appliquant sur la roche sa main enduite d’ocre ou traçant son contour d’une poudre amarante, inventant du coup en parallèle, et l’imprimerie et le pochoir, technique encore plus innovante, puisque l’imprimerie existait déjà dans l’empreinte de son pas, dans celle des animaux et des hommes dans la neige, dans la glèbe ou dans l’herbe foulée et qui lui permettait ainsi de lire au sol ou son « menu du jour » ou l’évaluation de nombre d’ennemis en vue d’une bataille. Les hypothèses sont nombreuses, elles restent des hypothèses. Les débuts de l’expression musicale sont encore plus difficiles à situer, car même si l’on a trouvé des instruments de musique très anciens, flûtes d’os percés, arcs, rhombes, lithophones ou leur représentation graphique (dans les fresques, pétroglyphes, sculptures rudimentaires), on n’a trouvé que des objets qui ne prouvent rien d’autre que leur propre existence sans pour autant affirmer, même par défaut, qu’avant eux l’expression d’un « fait » musical n’existât point, car il aurait pu exister d’une manière qui ne laissait pas de trace. Il est clair, qu’à ce moment, art et artisanat (merci Monsieur Lévi-Strauss) sont interdépendants. Peut-être que l’étincelle qui jaillissait au bout d’un certain nombre de gestes sonores et nécessaires donnait à ce rythme un caractère magique et sublimatoire assez éloigné au bout du compte de la préoccupation première de faire cuire le repas de la communauté, de la réchauffer ou encore de chasser tous les indésirables, souples et discrets félins ou pesants pachydermes... Et tout ça se produisait dans une superbe ignorance, dans l’inconscience probable de la réalité de l’acte accompli... L’homme ignorait alors qu’il devenait artiste... Pour ce qui de la causalité, c’est une autre histoire.
Mais ces bruits environnants dont il sentait qu’il en subissait la proximité, le poids et qui exerçaient sur lui un curieux et indéfinissable pouvoir dont son langage ébauché ne pouvait permettre que la verbalisation sommaire d’une analyse simple, ces bruits « n’étaient pas les siens ».
Le jour où l’Homme comprit qu’il pouvait lui aussi revendiquer (et oui déjà, même s’il n’y avait encore pas grande monde pour lui interdire - heureux homme ! - quoi que ce soit...), le droit à l’expression par le rythme d’abord (l’idée de mélodie vint bien après sans doute), le droit de frapper un objet dans un but autre que celui de le transformer en un couteau utile, une « durable » flèche, mais pour en tirer désormais un bruit, un son, gratuits et éphémères et peut-être ainsi modestement chercher à égaler le cheval qui galope, le tonnerre qui roule, le cœur qui bat, et, qui sait, approcher en l’imitant l’entité extraordinaire qui régenterait tout « ça », « ce » ou « ces » dieux qu’il ne s’était pas encore mis en tête de vénérer, pour son malheur, peut-être, pour son bonheur, qui sait..... Se laisser « charmer » par le résultat de son propre geste de thaumaturge qui s’ignore encore, jusqu’à y trouver du plaisir, ce plaisir qui allait devenir, quelques dizaines de milliers d’années après, si suspect, si douteux, pour certains même obscène... un peu comme le coït sans le but de procréer...
J’imagine que lorsqu’il comprit qu’il pouvait ne plus se limiter à l’écoute «des autres», animaux, éléments, calmes ou déchaînés, se contenter du rythme et des modulations de ce qui l’entourait, mais générer lui-même quelque chose qui fût apprécié à l’égal de ce qui le fascinait, par désir, par peur, par plaisir, participer ainsi lui-même au "chant du monde", acquérant du même coup une bien innocente, involontaire mais désormais fructueuse et légitime indépendance, il devint musicien.
Est-ce à ce même moment qu’il s’appropria, en la reproduisant, l’image de l’« autre » qu’étaient bisons, aurochs, mammouths, antilopes et tigres, voire frères humains, nul ne le sait.

En bref, comme tous les peintres, le peintre de Lascaux, celui d’Altamira, sifflait-il, en travaillant ?

2 commentaires:

hors landau a dit…

S'il sifflait en tavaillant, il faudrait vérifier qu'il ne sifflait pas une oeuvre potégée, ce sale type! Parce qu'autrement, il s'agit d'une "audition publique à titre gratuit" et le Sacem fait payer!Non mais des fois!
Y avait-il déjà une atarac'?

P. P. Lemoqeur a dit…

Et oui ! J'ai fait, il y a quatre ans (pour le compte du programme Tacis de la Communauté Européenne) une conférence à Bakou -ville merveilleuse !)sur la question du droit d'auteur... J'avais participé à la mise en place d'une structure moins destinée à pousser les azeris à payer les droits des auteurs exterieurs, qu'à faire en sorte que les artistes azeris perçoivent les leurs (Alim Quasimov et Aziza Mustafazadé ayant élu domicile en Europe) ... Et je commençai par évoquer ce qu'avaient pû imaginer et ressentir les graffiteurs de Gobustan... Car la question finit par se poser , qu'on le veuille où non, qu'on soit d'accord ou non, même si c'est fort longtemps après, dès qu'on laissa des traces...
Pas de traces pas de droit
Pas de bras pas de chocolat
C'est comme ça ...

11:11 PM
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