02 octobre, 2007

Histoires de merlan

Quand j'habitais rue Pestalozzi, j'avais "mon" coiffeur, vrai coiffeur de quartier, à l'ancienne. J'y allais au moins une fois par mois. Le patron et son garçon étaient parmi les derniers à savoir faire une vraie, une authentique coupe "Bressant", entendez une brosse. Il y avait dans le porte-revues et sur la table basse autour d'un cendrier à bascule toujours plein, des journaux d'hommes... Lui, Play Boy, Penthouse dans le meilleur des cas et l'année où je quittai le quartier, un tas de canards du genre Newlook ou beaucoup plus glauques. Il y eut même à un moment donné quelques revues homos, la fameuse coupe en brosse ayant, de bouche à oreille, attiré certains mecs du marais (déjà!). La clientèle était donc variée, du petit vendeur de la Mouff à la plus branchée des copines. J'avais fini par devenir pote avec eux, surtout avec l'employé, supporteur comme son patron du P.S.G (capable de regarder un match sur une télé portable tout en vous coupant les tifs sans se planter...) et de Jean Tibéri... leur, enfin, notre maire d'arrondissement qui, pas con, passait régulièrement leur serrer la tondeuse, rapidement par la porte entre-baillée (le coup de la porte entre-baillée est à retenir, car il est garant d'un rapport familier : pas la peine d'entrer, on se connaît !). Ils étaient assez rigolos, beaufs comme c'est pas permis mais qui, curieusement, n'affichaient, au moins dans leur officine, ni racisme ni homophobie. Ils étaient de surcroît fins psychologues. Régulièrement venait, une demi-heure avant la fermeture du salon, un petit bonhomme invraisemblable, retraité sans âge et bien propret. Je ne faisais que le croiser de temps en temps jusqu'à ce qu'un jour ils me fassent fort discrètement signe de rester pendant qu'il s'installait dans le fauteuil en skaï rouge. Je me fis le plus discret possible. On lui fit un shampooing avec son shampooing perso et c'est après que les choses sérieuses se passèrent selon un rituel précis. Il sorti d'un sac en plastique un flacon de lotion et une sorte de brosse à clébard dont s'empara le patron qui, après quelques vigoureux massages manuels du cuir chevelu, entreprit de lui étriller le crane avec énergie tandis le l'autre, les yeux mi-clos, la lippe humide, la main crispée sur l'accotoir se pâmait en susurrant d'extatiques et ternaires "c'est bon ! c'est bon, oh que c'est bon !" Je m'éclipsai avant la fin de la séance. Le mois suivant le merlan m'expliqua :"il est trop vieux pour se déplacer hors du quartier et n'a pas les moyens d'aller aux putes... alors voila, je lui rends service..." Je dois avouer que ça me laissa rêveur...
Un jour le garçon me raconta son samedi soir : "Je suis allé avec ma femme dans un restaurant rue Poliveau. C'est tenu par deux homosexuels (sic ! il ne disait pas "pédés"). C'était très bon, le décor est superbe et le service parfait ! Vous savez, ils ont le sens de la raffinerie !"
Voila, vous l'aurez compris, je les aimais bien...
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4 commentaires:

peryouenn a dit…

Bonjour Monsieur Lemoqueur,

Votre boutique de coiffure se trouvait-elle tout près de la bouche de métro Censier ? Je crois reconnaître pas mal de choses dans ce que vous décrivez. Deux sièges rouges sur la droite en entrant, un tout petit comptoir au fond pour le paiement, vestiaire derrière un rideau. Le patron chasseur parlait aussi de son chien, non ?

P. P. Lemoqeur a dit…

Cher Monsieur Peryouenn !
On ne peut plus près !
Face à l'ancien marché devenu gymnase, à un jet d'eau bénite de l'église Saint-Médard...
Rouges aussi les blouses des deux coiffeurs ainsi que les camisoles destinées aux clients.
C'est tout à fait ça...
On a du s'y croiser...

Anonyme a dit…

C'est exactement ça. Mais votre aticle m'interpelle parce que j'avais fini par soupçonner le patron d'être sympathisant FN après avoir entendu des propos plutôt racisant. J'y retournais parce que je n'avais pas les moyens d'aller chez les coiffeurs modernes, mais, dès que j'ai pu, j'ai acheté une tondeuse. Comme disait Desproges sur le sujet : j'aime pas qu'on dise des conneries derrière mon dos

C'est amusant si on s'y est croisé, effectivement.

P. P. Lemoqeur a dit…

Confidence pour confidence, je suis , moi aussi, passé à la tondeuse en les abandonnant...

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