28 mars, 2008

Bakou, pour toujours...

Je ne sais pas comment je me suis débrouillé, mais je suis arrivé à Bakou à quatre heures du matin. Changement à Zurich, deux ou trois heures de décalage, je ne sais plus, bref, ce n'était pas l'heure idéale pour débarquer un week-end, tout seul, et sans "tour opérateur", dans un pays qu'on ne connaît pas. L'aéroport de Bakou à cette époque, (il y a exactement dix ans) s'il avait la taille d'un aéroport, présentait le confort d'un aérodrome. Ambiance curieuse et syncrétique d' "Est" d'avant la chute du mur mêlée de langueurs turques et tout autant persanes. Pour commencer, bien sûr, mon bagage est resté à Zurich.... Pas la peine de le guetter à l'orée du tapis. Et puis, le chauffeur de l'ambassade de France qui devait m'attendre est, mon avion étant en retard, rentré chez lui... C'est samedi, jour de congé. Il est maintenant cinq heures du mat et je suis assailli par tous les chauffeurs de taxi de l'aéroport qui veulent me conduire, m'aider, me sauver... Parmi eux de vrais taxis et autant de faux qui ont besoin d'un deuxième taf pour survivre. Dans ces cas là, ça se joue au feeling... J'ai du flair, je le sais, je choisis le bon, un franc tireur... il m'entraîne, et, me soustrayant à la convoitise de ses confrères ulcérés, me pousse dans une vieille, blanche et imposante Volga d'ex-aparatchik. Je lui explique que je vais à l’ambassade de France."Büyükelçilik", "Ambassy", je lui dis! Il ne comprend rien... Je lui montre une lettre, l’adresse, ok, il a pigé on y va... La Volga suinte l’essence, le brut, elle a même oublié qu’elle eut un jour quelques amortisseurs. Elle roule, elle tangue, le chauffeur veut me faire voir, à moi l’occidental égaré, qu’il sait ce que conduire veut dire... A cinq heures du matin, il fonce... Je ne lui ai jamais dit que j’étais pressé... à cinq heures du matin, sans bagage, à cinq mille kilomètres de chez soi, peut-on l’être ? L’autoroute aux abords de l’aéroport est sur-éclairé et plus nous nous éloignons, plus son éclairage décroît. Nous arrivons dans les faubourgs, dans la pénombre. Mais une ville orientale ne dort jamais complètement. Il y a toujours, un petit débit de boisson, un petit marchand de börek , de clopes, de pneus, un fleuriste qui, sous une guirlande de loupiotes vacillantes au gré d'un vieux générateur, veille. Pas la même idée du temps. Au bout d’un moment nous entrons dans la ville. Un peu sombre, curieuse, et pour tout dire magique, une ville occidentale, “caricaturalement” occidentale, et dans la lumière du jour qui se lève, aussi belle que délabrée. On me laisse devant un bâtiment imposant, à deux cents mètres de la Caspienne, l’ambassade où je dois me rendre. Nous étions convenus de dix dollars pour la course. Je lui fait faire ce jour-là, en quelques vingt minutes, son chiffre de la semaine. Il sait que je suis, par rapport à lui, plein de thunes, de cash, et pourtant, pour moi qui ne suis pas beaucoup plus riche en mon pays que lui en le sien, pas la moindre angoisse, pas plus que d'équivoque. Et je me retrouve seul, il doit être six heures devant la porte de l’ambassade. Personne bien sûr... Alors je vais vers la plage. Imaginez une sorte de Cannes, de Nice, de Deauville, croisette, promenade et planches caucasiennes. Casino modern’style, luna-park, pour enfants, mini-golf écaillé, tout le folklore méridional occidental revu, usé et corrigé par cent cinquante ans de présence russe dont soixante-dix-ans de communisme autochtone. Le plus grand bordel d’idées faites ville que j’ai jamais vu. Seulement voilà... Je suis sur la plage... La Caspienne est un lac calme et glauque à la fois. Mais lorsque le jour se lève, elle devient sublime et donne à cette ville une couleur bien rare. Et je vais faire frémir tous les écologistes, mais je garde en mémoire la curieuse odeur de Bakou, l’odeur de pétrole et de gaz qui de partout exsudent. Dégoût ? Mais non ! Ce serait trop simple. J’y suis retourné depuis, deux fois. La ville s’est fait ou refait, une beauté. Méconnaissable !Mais comme un être aimé, elle garde l’essentiel : son parfum.. En attendant, je n'ai plus de bagage... Je suis seul à Bakou, belle endormie. L'ambassade est fermée. Et pourtant, sur un banc de métal rongé, rouillé, repeint, face à la mer si calme, je suis bien ; le jour se lève, au soleil, qui quelques minutes auparavant éveillait, de l'autre coté, Ashkabad de printanières caresses ; il fait doux, et je vois la ville qui s'éveille, s'étire comme un gros chat, pas bleue, pas rose... mauve ! Bakou est une ville mauve. Je vous parlerai encore de Bakou.
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