08 janvier, 2009

Histoire de Fortunée

Fortunée était née en France, en Alsace, mais émigra très jeune au Maroc. Elle y rencontra son mari. Ils eurent dix enfants. Le dixième était à peine né que son mari mourut, crise cardiaque sur un chantier. Heureusement l'aîné était grand, les puînés aussi. C'était en 1954. Elle décida : partir en Israël. Ils partirent, Dieu sait comment... Israël était un pays jeune où tout était possible. Enfin presque... Il valait quand même mieux (à l'époque, ce n'est plus vrai maintenant) être ashkénaze que séfarade. C'était plus pratique, on était mieux considéré, car si l'on venait du maghreb, on avait des chances d'avoir été épargné directement par l'horreur, déficit compassionnel et traitement au prorata... Fortuné dut faire son trou, défendre et imposer sa portée et son dernier fils n'eut de vraies chaussures que quelques temps après leur arrivée en Terre Promise... L'An prochain à Jérusalem ? cet an là il le vécu pieds nus. Il me l'a dit, je le crois toujours. Il n'eut pas de Bar Mitzva... Ca coûte cher, faut investir même si on s'y retrouve avec les cadeaux, disait-il en riant... Et puis la vie devait être vécue. Fortunée était incroyable. Illettrée elle parlait couramment cinq langues. Et oui, le voisinage. Elle savait le français par ses origines, elle avait appris l'arabe au Maroc. A Beer Sheva, ses voisines lui en apprirent d'autres, le turc, l'italien, le portugais. Fortunée avait fait des enfants d'une beauté rare, neuf garçons pour une fille... Les trois derniers garçons à la fin des années 70, après avoir rendu à leur mère patrie les bienfaits dont elle les avait gratifiés dont deux guerres (et celle dite du Kippour particulièrement mal vécue par ceux qui la firent) s'exilèrent... Diaspora volontaire, prise de conscience des choses... Ils vinrent à Paris sans problème, car Fortunée qui avait un instinct de conservation rivé à l'étoile, les avait déclarés comme citoyens français sous le protectorat de la France au Maroc. Ils s'installèrent à Paris, République, où ils étaient, délaissant le Sentier voisin, en parfaite intelligence avec la petite communauté égyptienne...
J'ai ainsi rencontré le fils de Fortunée.
Il croyait à un état mixte, israéliens-palestiniens mélangés... Il ne remit jamais sauf occasions nécessaires les pieds en Israël. Quand il mourut du Sida, en 1991, l'état d'Israël ne voulut pas le recevoir... La peur... Israël vit dans la peur...
Quand j'ai connu Fortunée, Méditerranée faite femme, elle approchait les quatre-vingts ans ; elle vivait de Nescafé soluble au lait et de cigarettes blondes et opiacées qui lui calaminaient les doigts. Elle racontait l'histoire du monde en passant d'une langue à l'autre.. Elle avait six mois de plus que ma mère. Elles moururent exactement à six mois d'intervalle.

Voilà, c'était l'histoire de Fortunée...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une histoire pas banale, vue de mon occident peut-être seulement. Et une belle histoire, avec cette même vision.

LESA FAKER a dit…

merci PP de rappeler ces histoires d'humains qui font l'humanité, merci de rappeler ce coté improbable de la vie, le vrai de l'humanité..la loterie et l'amour

Anonyme a dit…

Belle histoire humaine...

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