22 mars, 2009

Le Shaga de Chaville

Cet après-midi nous sommes allés à l' Atrium de Chaville. Comme tous les ans, c'est la première des journées Duras et c'est très bien ainsi (c'est ensuite à Duras en mai, en octobre à Trouville).

L'excellente Claire Deluca jouait avec les excellents Hervine de Boodt et Jean-Marie Lehec "Le Shaga". "Le Shaga", c'est un vaudeville métaphysique d'une drôlerie constante. Il ne s'agit pas du trio habituel, le mari, la femme l'amant, façon Tardieu du désopilant "Un mot pour un autre" non, mais de trois personnages dont les relations sociales, les états de réciprocité et le sexe finalement importent peu, même si de temps à autre, ce dernier "pointe son nez" au détour d'un dialogue... Deux d'entre eux se connaissent un peu, les deux femmes, le troisième débarque, un jerrycan vide et percé à la main. La première femme arrive sur scène coté cour en chantant un sabir qui ressemble un peu au javanais de notre enfance, quand la suit de près celle qui est peut-être sa voisine, et qui d'un seul coup se trouve confrontée à la transformation linguistique inattendue de la première...Elle va devenir d'emblée par cette position intermédiaire entre les deux autres, le truchement, l'ordonnateur d'une sorte de rituel évolutif et des plus improbables... L'homme au bidon, surgit coté jardin et va se trouver pris dans la nasse. Il va parler d'un oiseau... d'un oiseau qui parle, lui aussi... Le tour de force de Duras, dont la scène, contrairement à l'écran ou au livre n'est pas le champ d'action privilégié comme c'est celui de ses collègues du théâtre de l'absurde, c'est de réussir à construire un truc qui tient la rampe d'une manière incroyable. Il faut dire que c'est aussi très construit, d'une manière musicale, A-B-A, avec au centre comme en celui d'un "scherzo" classique un très long "trio". On cause, on cause et comment dire ? ça marche ! Et puis, il y a ces répliques qui méritent d'être "culte".
Ça se passe au pied d'un immeuble :
"Je suis tombé en panne, à deux mètres d'ici ".
" Depuis quand ? ".

" Depuis deux ans ! ".
Et cette merveille rhétorique que je transcris approximativement, de mémoire : "je comprends ce que vous dites, mais je ne comprends pas ce que vous dites en le disant" ... (à vérifier aux sources...) Du vécu pour tout le monde...

Alors bien sûr il faut des comédiens de premier plan car pour faire passer comme relevant de l'évidence absolue une frappadinguerie pareille, ça demande du talent certes, mais aussi du métier. Claire Deluca a participé avec Duras à l'élaboration de cette pièce et la version qu'elle en donne aujourd'hui résume les différentes versions qu'elles travaillèrent ensemble. Elle possède toutes les notes, les annotations, bref, comme on dit, les sources. Elle a aussi ce timbre de voix si particulier, instrument incomparable pour interpréter la musique durassienne. Elle en avait donné il y a quelques années à l'Espace Kiron une extraordinaire lecture, seule en scène, un peu comme la version piano d'une oeuvre chorale. Aujourd'hui c'est la version intégrale qu'elle nous donne avec ses amis et c'est très bien aussi.

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