16 avril, 2010

Histoire vraie, triste histoire

C'est mon frère aîné qui l'avait ramené à la maison. "Ramené à la maison", chez nous ça voulait dire qu'il avait droit au couvert et le cas échéant au gîte en cas de besoin voire plus simplement d'envie. Il trouvait chez nous ce qu'on trouvait assez peu ailleurs à l'époque en province, on va appeler ça une ambiance, celle d'un endroit où ce ou celui qui était "différent" trouvait tout naturellement sa place pourvu qu'a minima il fût drôle et eût quelque talent... Ceux qui ont connu s'en souviennent... C'était à la fin des années cinquante, début des années soixante. Mais, ce n'est pas le sujet du jour. Pour ce qui est du talent, il en transpirait, de l'humour, de la fantaisie tout autant. Chacune de ses visites était toujours un vrai bonheur, j'ai rarement le souvenir de quelqu'un aussi "aimable". Il avait des goûts bizarres dont le plus courant consistait à dévorer les quatre-quarts chauds dès que ma mère les sortait du four, avant de le chasser à coups de torchons à travers la grande cuisine. Il était photographe et devait avoir à l'époque entre vingt et vingt cinq ans. C'était aussi, comme on disait alors, un "original"... Et ça voulait dire un tas de choses dans le vocabulaire de la bourgeoisie locale... Il avait un look inédit, les cheveux déjà longs pour l'époque, et comble du comble, l'ongle de l'auriculaire droit long comme celui d'un empereur chinois et qu'il avait fait émailler... Il avait à la joue la marque d'une morsure d'une vipère qui avait failli le tuer enfermée par ses soins dans un bocal avec des escargots qui avaient, et c'est bien normal, soulevé le couvercle... Il avait une fiancée asiatique, mais comme il avait rencontré Cocteau, celui-ci avait, c'était comme ça, quelque peu déteint sur sa réputation, sans aucune raison objective, ça va sans dire ; c'est bien entendu uniquement pour voir son travail de photographe que Cocteau l'avait reçu. Il faisait aussi, pour vivre, des photographies mondaines, mariages, fiançailles, communions. Le problème de notre ami c'est qu'il aimait les beaux objets et qu'il avait un sens de l'humour incompatible avec celui des élus locaux. Comme il gagnait fort bien sa vie, il achetait ce qui lui plaisait. Mais quand ce n'était pas à vendre, à savoir ce dont regorge les vitrines des musées, il se servait avec adresse, avec virtuosité. Oh, pas pour revendre ! pas pour gagner, non ! pour avoir... Il débarqua un jour chez nous de retour d'Espagne, dépassant du toit ouvert de sa 2Cv jaune citron, un superbe Christ décharné en bois polychrome. Comme les bourgeois locaux le considéraient comme un marginal particulier puisque fils de bourgeois, on lui confiait les reportages intimes des réunions mondaines d'un club caritatif dans les châteaux environnants... Il maîtrisait fort bien l'art du montage photographique... C'est ainsi qu'à partir de la photo d'une ceinture de chasteté fleuron du musée local, il fit un subtile montage avec la photo du maire et qu'il alla placer dans la vitrine à coté de l'objet lui-même. Il y resta des mois sans que personne sauf les initiés, puis le conservateur s'en aperçussent.

Mais un jour, en 1965, je crois, dans le musée d'une ville côtière, il fut surpris après avoir de tout évidence fracassé une vitrine où manquait une bague qu'on retrouva sur lui... On l'arrêta, on perquisitionna sa jolie maison où l'on trouva un tas d'objets superbes dont il était le propriétaire sans pouvoir vraiment le prouver, mais aussi d'autres qui ne lui appartenaient pas, on s'empressa bien sûr de faire l'amalgame . Mais c'est lorsqu'on ouvrit son coffre fort, que la surprise fut la plus grande... Des photos, des tas de photos de notables locaux de tous les sexes dans des positions et des tenues incompatibles avec leurs dignités... C'est un ami à nous policier chargé de l'enquête qui les avait vues avant qu'on les fit hâtivement disparaître. Il fut jugé, sans bien entendu que ces photos fussent jointes au dossier. Mon père et mon bon maître témoignèrent en vain en sa faveur. Il prit, erreur funeste, un avocat local et fut condamné à dix ans de réclusion... C'était moins le voleur (il avait tout restitué, n'ayant rien vendu) que l'incontrôlable individus qu'on mit au secret. Quand il fut libéré, il vécut quelques années encore dans le sud de la France mais mourut d'une crise cardiaque. Pas un seul conservateur des musées qu'il avait dépouillés n'avait porté plainte, aucun ne s'étant aperçu des disparitions.Certains même disait-on, mais on ne prête qu'aux riches, auraient refusé pour ne pas passer pour des cons, de reprendre des objets dont il se souvenait très bien de les avoir délestés.
J'ai toujours en ma possession une photo qu'il avait faite de ma soeur aînée portant dans ses bras l'énorme gerbe de glaïeuls qu'il venait de lui offrir pour ses dix-huit ans.

3 commentaires:

LESA FAKER a dit…

j'adore cette photo

zoun a dit…

Il s'appelait Alain ?

P. P. Lemoqeur a dit…

oui, il s'appelait Alain et c'est ton père qui l'avait amené aux 4 cyp

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