19 août, 2010

Une vraie groupie

Tout avait commencé le jour où, à l'issue d'un concert, il lui avait dédicacé son dernier 33 tours qu'elle avait apporté avec elle et dont il venait de chanter les douze titres réglementaires, dont le tube deux fois, dont une en bis. Il lui mit un petit mot gentil, au feutre noir, sur le recto de la pochette et comme il était sympa, pas fier, il lui fit même la bise en la lui rendant.
C'était foutu... Elle devint, bien qu'il l'ignorât, la femme de sa vie, sa muse, son égérie... Ce soir là, elle ne dormit pas de la nuit, c'était évident, lui aussi, il l'aimait et la banalité de la dédicace était la preuve de cet amour, il ne voulait pas que ça se sache car il était marié ou tout comme et ça, ils l'avaient compris tout les deux ! Elle voulut le revoir tout de suite mais il était en tournée et elle n'avait les moyens ni de le suivre ni de se payer un billet à chaque concert. Elle devait impérativement le retrouver, bien sûr parce qu'elle l'aimait, mais aussi parce que lui l'aimait aussi et qu'il avait besoin d'elle, pour sa vie, pour son oeuvre. Alors, en bonne stratège, plutôt que de le courser dans la France entière, elle déménagea pour Nancy où de notoriété publique il continuait de vivre malgré son énorme succès. Ce lui fut assez facile, elle était au chôm'du, et glander ici ou ailleurs, autant aller là où l'amour l'attendait. Elle fut accueillie par des squatters amis et commença par traîner dans les bistrots du centre ville car, resté simple, il avait semble-t-il, comme tout le monde, ses habitudes. Et un jour enfin elle le retrouva. Elle lui rappela leur rencontre. Il s'en souvint ou fit semblant, mais sans manifester plus d'émotion que ça. Elle en fut profondément meurtrie, mais sans lui en vouloir, au contraire. De toute évidence il y avait un complot contre elle, contre lui, contre eux et leur amour et ce n'était pas dans cette ville qui leur était hostile qu'elle réussirait à le conquérir malgré tous les signes qu'il lui avait laissés : le dessous de verre en carton de son demi de bière qu'il avait tripoté tandis qu'il lui parlait, une cigarette à moitié consumée qu'il avait laissée dans le cendrier rien qu'à son intention... Bref un tas de petits détails qui ne trompaient pas.
Elle rentra à Melun bien décidée à oeuvrer à plein temps pour la réalisation de leur bonheur, la conclusion de leur idylle. Elle écoutait ses disques en boucle et finissait par trouver dans des chansons bien antérieures à leur rencontre des messages qui lui étaient destinés. Elle épluchait la presse spécialisée, écoutait ou lisait in extenso ses interviews, et nourrissait de jour en jour son rêve et sa folie, car tout ce qu'il disait lui était adressé, qu'elle seule pouvait décrypter.
Il fallut la médicaliser le jour où elle annonça qu'il s'était secrètement installé dans son immeuble, dans un appartement vide (juste au dessus de celui de ses parents où elle s'était réfugiée depuis son retour) et devant l'entrée duquel elle restait prostrée en attendant qu'il sorte.
Et tout ça, Charlélie, il l'ignore.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ca s'appelle érotomanie et c'est très grave... Ca peut mener au harcèlement, au meurtre, au suicide...
Hors landau

P. P. Lemoqeur a dit…

Absolument.
Faut dire qu'en plus, la pauvrette se mettait dans les veines et dans les trous de nez tout ce qu'elle pouvait se mettre...

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